Détresse psychologique: le transport en commun nuit à la conciliation travail-famille


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Par La Presse Canadienne, 2025
MONTRÉAL — Les déplacements entre le domicile et le travail peuvent interférer avec la conciliation travail-famille au point d'être une source de détresse psychologique pour les travailleurs, particulièrement s'ils sont effectués en transport en commun.
La voiture semble être le mode de transport qui protège le plus la santé mentale, devançant même le transport actif comme le vélo ou la marche.
Ce sont les conclusions étonnantes à laquelle en vient la chercheuse Annie Barreck, qui a soutenu sa thèse de doctorat sur cette question à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal l’année dernière, et qui signe ces jours-ci une étude dans le Journal of Transport & Health.
«Je me suis demandé si (...) le déplacement en soi pouvait générer des difficultés de conciliation qui pourraient expliquer par la suite pourquoi les travailleurs vivraient (une) détresse psychologique en lien avec les déplacements, donc un facteur de stress de plus que ceux qu'on connaît déjà dans les milieux de travail», a expliqué Mme Barreck, qui a mené ses travaux sous la supervision du professeur Alain Marchand.
La chercheuse a tout d'abord constaté que la durée des trajets est le principal facteur déterminant: plus les travailleurs passent de temps à se déplacer, a-t-elle expliqué, plus ils rapportent des conflits travail-famille et plus leur santé mentale s’en trouve affectée, rapportant davantage de symptômes de détresse psychologique comme de l'anxiété, une perte d'intérêt, de la frustration ou même des maux de tête.
Et même un trajet plus court n'est pas nécessairement une solution, puisque Mme Barreck a déterminé qu'un épuisement professionnel commence à se manifester après seulement vingt minutes.
Selon les données de Statistique Canada citées par la chercheuse, la durée moyenne d’un trajet en auto pour les Canadiens est de 44 minutes, comparativement à 53 minutes en transport en commun et à 26 minutes en transport actif. Pour près de 10 % des travailleurs, la durée des trajets dépasse les 60 minutes. Et la tendance est nettement à la hausse.
Le fait que les déplacements en transport en commun soient les plus longs signifie aussi qu'ils laissent le moins de temps pour le travail ou encore pour les activités sociales ou familiales, a ajouté Mme Barreck, ce qui pourra contribuer à la détresse psychologique.
Les données pancanadiennes de l'étude de Mme Barreck proviennent de l’Étude longitudinale de l’Observatoire sur la santé et le mieux-être au travail, menée auprès de 1830 employés issus de 65 milieux de travail diversifiés. Elles ont été recueillies entre 2019 et 2020.
Mieux en voiture
Autre fait étonnant: la voiture semble être un facteur de protection, possiblement parce que son utilisation procure un certain sentiment de contrôle au lieu d'être à la merci des aléas du transport en commun.
À l’heure actuelle, un peu plus de la moitié des travailleurs canadiens se déplacent en auto, comparativement à environ 40 % pour le transport en commun et 8 % pour les modes de transport actif comme la marche ou le vélo. Même ces derniers ne protègent pas d'une détérioration de la santé mentale, a indiqué Mme Barreck.
«Dans le cadre de mon étude, on voit que l'utilisation du transport en commun, comparée à l'utilisation de la voiture, va générer plus de difficultés de conciliation travail-famille, et ensuite plus de symptômes de détresse psychologique», a résumé la chercheuse.
Toutes ces conclusions vont à l'encontre d'une sagesse populaire solidement ancrée selon laquelle il est préférable, du moins pour la santé mentale, de se déplacer en transport en commun ou en vélo, que d'aller affronter le trafic de l'heure de pointe en voiture.
Ces hypothèses sont même reprises dans la littérature scientifique, souligne Mme Barreck, où on suppose généralement que les transports en commun sont moins stressants que les déplacements en voiture, et que les transports actifs sont ce qu'il y a de mieux.
«Par rapport aux déplacements en voiture, les déplacements en transports publics étaient également indirectement associés à une plus grande détresse psychologique en raison d'un plus grand nombre de conflits entre la famille et le travail, a-t-elle écrit. Les déplacements actifs étaient directement associés à une plus grande détresse psychologique, mais pas à l'une ou l'autre direction du conflit travail-famille.»
L'association entre la détresse psychologique et l'utilisation des transports en commun tient explicitement à la conciliation travail-famille, précise Mme Barreck.
Même si on suppose, en surface, que l'utilisation du transport en commun sera moins stressante, «en réalité, le travailleur a moins de contrôle sur ses déplacements que s'il est en voiture», a-t-elle dit.
«Le transport en commun est peut-être moins prévisible, il peut y avoir des arrêts, des retards et ainsi de suite», a expliqué Mme Barreck, qui, par ailleurs, n'a pas cherché à voir, lors de son étude, si le sentiment de sécurité des utilisateurs du transport en commun pouvait alimenter leur détresse psychologique.
Cela étant dit, il ne faut pas perdre de vue que les utilisateurs du transport en commun ne sont pas homogènes, a-t-elle souligné: l'expérience d'un quadragénaire célibataire qui vit et travaille à Montréal, et qui a la possibilité de faire du télétravail, sera probablement différente de celle d'une mère monoparentale de trois enfants d'âge scolaire qui travaille à temps plein à Montréal mais habite à Boucherville.
«Les résultats de cette étude suggèrent d'adopter une perspective plus large des déplacements domicile-travail, de la santé mentale au travail et des questions liées au travail et à la famille afin de reconnaître pleinement la complexité des déplacements domicile-travail sur la santé et le bien-être des employés», a écrit Mme Barreck.
La compréhension de cette complexité, ajoute-t-elle, «pourrait favoriser le développement durable, y compris les interventions sur le lieu de travail visant à prévenir les problèmes de santé mentale et les problèmes familiaux en améliorant la mobilité des travailleurs».
Si l'utilisation du transport en commun est associée à davantage de difficultés de conciliation travail-famille, il devient dès lors essentiel d'impliquer les milieux de travail et de mettre en place des interventions comme des politiques liées à la conciliation travail-famille ou encore la possibilité d'avoir un horaire de travail flexible.
«Ce sont des exemples de politique qui peuvent être ultra importants dans les milieux de travail, qui vont avoir un effet non seulement sur la mobilité des travailleurs, parce que possiblement les travailleurs vont choisir d'utiliser plus le transport en commun si on utilise ces politiques-là, mais aussi parce que par la suite, ils vont avoir beaucoup moins de problèmes de santé mentale», a conclu Mme Barreck.
Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne