Les influenceurs ont «dominé» les élections en ligne, selon un rapport


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Par La Presse Canadienne, 2025
OTTAWA — Les influenceurs ont été les plus actifs en ligne lors des élections fédérales de ce printemps, surpassant les médias et les politiciens, selon un nouveau rapport.
Ce rapport, réalisé par le Réseau canadien de recherche des médias numériques, coordonné par l’Observatoire de l’écosystème médiatique de l’Université McGill et l’Université de Toronto, a examiné l’environnement informationnel électoral.
Les influenceurs ont été les plus actifs en termes de fréquence et de volume de publications en ligne et ont suscité le plus d'engagement, a souligné Aengus Bridgman, directeur de l'Observatoire.
«C'est une nouveauté pour cette élection (…) une différence fondamentale», a-t-il déclaré à La Presse Canadienne.
Auparavant, les médias et les politiciens bénéficiaient d'un très fort engagement en ligne et pouvaient ancrer la conversation grâce à des publications fréquentes et des articles qui suscitaient une grande attention en ligne, a ajouté M. Bridgman.
«Ce n'est tout simplement plus vrai.»
Les influenceurs représentaient près de la moitié (47 %) du contenu politique dans l'ensemble de données des chercheurs, tandis que les médias d'information en représentaient 28 % et les politiciens, 18 %, selon le rapport.
«Ce sont les influenceurs, et non les partis ou les salles de presse, qui ont dominé la distribution et l'attention sur toutes les plateformes pendant la campagne», conclut le rapport.
Un «vide informationnel»
Ce changement est «cohérent avec l'interdiction de partage d'informations sur Meta et la visibilité réduite des nouvelles sur X, qui a favorisé la diffusion de voix non liées aux informations et d'éditeurs d'infodivertissement», ajoute le rapport.
Meta a bloqué l'accès aux nouvelles de ses plateformes Facebook et Instagram pour les utilisateurs canadiens en 2023, en réponse à la Loi sur les nouvelles en ligne du gouvernement fédéral.
Le rapport indique que cette interdiction «a créé un vide informationnel qui a été en partie comblé par du contenu moins fiable».
Il souligne également le rachat de Twitter, désormais rebaptisé X, par le milliardaire Elon Musk, ancien allié du président américain Donald Trump.
Le rapport indique que «les positions politiques d'Elon Musk et les récents changements apportés à la plateforme ont également contribué à une plus grande fragmentation de l'environnement informationnel en ligne, certains utilisateurs centristes et de gauche ayant migré vers des plateformes alternatives comme Bluesky».
Les chercheurs ont suivi environ 4000 entités canadiennes entre le 23 février et le 28 mai, dont des politiciens, des médias, des organismes gouvernementaux, des organisations de la société civile et des «personnalités en ligne de premier plan».
L'enquête a permis de recueillir 1,52 million de publications sur X, Instagram, TikTok, Bluesky, YouTube et Telegram.
Aengus Bridgman a indiqué que les Canadiens semblent désormais privilégier le contenu des influenceurs.
«Il ne semble pas s'agir de présenter des faits ou des politiques, a-t-il expliqué. Il semble s'agir de réactions aux événements, d'interprétations, de commentaires (…) C'est ce que les gens recherchent actuellement.»
Une frontière floue
M. Bridgman a souligné que la frontière entre influenceurs et médias traditionnels peut être floue, surtout au Canada, où de nombreux influenceurs politiques sont présents dans les médias traditionnels.
Les chercheurs à l'origine du rapport ont défini les «influenceurs» pendant la campagne électorale comme des personnes comptant au moins 10 000 abonnés, dont le contenu était aux deux tiers politique – principalement canadien – et qui n'utilisaient pas leur présence en ligne uniquement à titre professionnel.
Cela signifie qu'un journaliste ne pouvait pas être qualifié d'influenceur s'il utilisait sa présence en ligne uniquement pour parler de son travail journalistique, a expliqué M. Bridgman; il devait aller plus loin, par exemple en proposant des commentaires plus larges.
«Les influenceurs sont des entités qui existent et fonctionnent principalement dans les espaces numériques et qui, par leurs commentaires, leurs réactions politiques et leurs interactions avec d'autres entités, influencent réellement la conversation», a-t-il indiqué, ajoutant que les influenceurs «ont une présence suffisamment importante sur la plateforme pour avoir une voix et obtenir une certaine popularité».
Une situation «intenable»
Le rapport appelle les influenceurs à assumer leur responsabilité démocratique en démontrant comment évaluer l'information de manière critique, en la vérifiant, en divulguant le contenu commandité et en fournissant des informations crédibles sur le vote et la participation démocratique.
L'essor des influenceurs n'est qu'un des éléments examinés par le rapport. Les chercheurs se sont également penchés sur l'ingérence étrangère, la désinformation et l'évolution démographique sur les principales plateformes en ligne.
Le rapport a constaté «un environnement informationnel façonné par les influenceurs, la manipulation et les perturbations numériques, la polarisation politique, ainsi qu'un affaiblissement de la gouvernance et de la responsabilisation des plateformes».
Bien que le rapport indique que ces facteurs n'ont pas influé sur le résultat des élections, il prévient que, sans réforme, «le Canada risque d'aborder les prochaines élections moins bien préparé, plus divisé et plus exposé à la manipulation».
Le rapport appelle à une plus grande transparence des plateformes en ligne.
M. Bridgman a déclaré que les chercheurs «n'ont pas l'accès aux données ni la visibilité nécessaires pour communiquer correctement aux Canadiens si des manipulations ont eu lieu ou non».
Il a qualifié la situation d'«intenable».
Anja Karadeglija, La Presse Canadienne